Quelles sont les images mentales qui surgissent quand on vous demande de vous imaginer « Internet » ? Plutôt que des câbles, je parie que ce sont des ordinateurs, des téléphones portables, des satellites, ou même des applications du type « réseaux sociaux » comme Facebook ou Instagram, ou alors, l’e-mail qui rivalisent pour une place importante dans votre tête…

Source image : https://www.youtube.com/watch?v=QfpNpQMYp8M&t=160s

Pour d’autres, Internet est un « endroit virtuel », qui consiste d’« un ensemble de protocoles », « du WIFI ». Ou, si vous connaissez un peu l’histoire d’Internet, c’est ce dessin de Tim Berners-Lee qui représente le mieux Internet pour vous…

Internet, un câblage du monde très physique

Mais Internet, c’est d’abord un monde enfoui, peu connu, de câbles et de connexions physiques. C’est ce qu’Andrew Blum a découvert quand un écureuil avait mâché « son Internet » — petit événement qui l’a poussé à découvrir le monde physique d’Internet. Qu’a-t-il trouvé ? Des câbles, beaucoup de câbles, et des techniciens qui sont des passionnés de câbles et des connexions. Il en parle très bien d’ailleurs, ici et ici. Et si cela vous intéresse, son livre, « Tubes —Behind the Scenes at the Internet » vaut certainement la peine. C’est un monde de câbles jaunes, qui sortent de la terre à un certain nombre d’endroits et qui se répandent partout sur terre (enfin, presque partout). Blum décrit les douze endroits les plus importants, où les différents réseaux sont interconnectés. Il nous fait découvrir les hommes dont le seul souci est de garder intactes les connexions — bien oui, en le lisant, j’ai l’image d’un monde presque sans femmes….

Source image : Pixabay

Ce qui est drôle, c’est quand il parle d’Internet aux Pays-Bas. D’abord, il décrit la fameuse AMS-IX qui est le grand tube qui sert de port d’entrée pour une large partie des fournisseurs de l’Europe de l’Ouest (et dont j’ai parlé ici). Mais ce qu’il ajoute est presque plus intéressant : il décrit comment les bureaux et personnels qui travaille à ce lieu fonctionnent : « Là où les installations d’échange à Francfurt montraient un caractère poli, AMS-IX semblait de prospérer sur la base d’un caractère informel, mais bien pensé, une philosophie qui était visible dans les bureaux qui se trouvèrent dans un ensemble de maisons identiques proche de la vieille ville. (…) Il y avait une ambiance simple et accueillante, presque intime (“homeyness”) dans les locaux du AMS-IX que je n’avais rencontré nulle part ailleurs dans les endroits d’Internet. Plutôt que d’imaginer le réseau comme domaine des théories conspirationnelles et d’une infrastructure cachée, les lieux incarnaient un esprit de transparence et de responsabilité individuelle. Et il s’est révélé que ce sentiment était prolongé dans l’infrastructure physique ».

Je pense que cette phrase illustre parfaitement bien mes racines néerlandaises.

Et l’homme tira le câble sur la terre…

Il existe donc un vaste réseau, qui est constitué de plusieurs réseaux qui se regroupent dans ces douze centres. Imaginez-vous d’énormes bâtiments, sans le bling-bling qui colle à l’image de startup de la Silicon Valley. Puisque ces bâtiments, ils sont sans étiquette, de bunkers géants dans des endroits isolés : c’est là où les connexions qui font notre bonheur sont maintenues. Internet, c’est donc aussi un énorme enjeu foncier, qui se passe le plus discrètement possible. Pour avoir une idée de ces lieux physiques d’Internet, regardez ces superbes photos, qui dévoilent ces lieux qui connectent toutes nos vies.

 

Source image : https://www.youtube.com/watch?v=QfpNpQMYp8M&t=160s

Blum montre aussi l’arrivée d’un câble sous-marin sur une côte : un autre moment qui témoigne de cette dimension physique. Ici, pas d’hommes en jeans et baskets devant leurs ordinateurs, pas de lieux high tech ou des « open spaces » dans lesquelles s’amusent les jeunes pousses des start-up. Là où les câbles sortent de la mer, il y a d’abord un homme qui sort de l’eau avec un fil, auquel est attaché un câble qui sort véritablement de l’océan. Ensuite, il y a des techniciens qui ressemblent plus à des ouvriers de plateformes pétrolières en mer, ou peut-être aux ouvriers dans le bâtiment. C’est le côté d’Internet qui me fascine, car il y a cette dimension extrêmement physique, qui nous ramène à la terre et à la mer — et non pas aux « ondes » dans l’air.

Source image : https://www.ted.com/talks/andrew_blum_what_is_the_internet_really?language=fr#t-694254

Ce qui est le plus surprenant de tout, c’est de regarder des photos de l’arrivée des premiers câbles intercontinentaux et de les comparer à l’arrivée en 2012 : entre 1856 et 2012, le monde a connu d’incroyables changements, mais les câbles sortent de l’eau de manière presque inchangée depuis plus de 150 ans. Un homme surgit de l’eau, et tire un câble. Qui par la suite sera enterré et couvert avec le sable : vous baignerez par dessus d’énormes quantités de lumière, bien cachées sous le sable de la plage.

Internet, un monde sous-marin interconnecté

Et si je vous disais que 99 % du trafic international de données passe par des câbles sous-marins… ? Pas pas les satellites, et pas non plus par une sorte de « réseau virtuel » qui reste invisible, qui est « quelque part dans l’air ».

Sur YouTube, vous trouverez des explications détaillées des réseaux sous-marins en français, par exemple cette conférence (2015), donnée par Bruno Vinouze, enseignant chercheur à Télécom Bretagne, département d’optique, UMR 6082. En un peu plus d’une heure, il explique tout ce qui concerne les sciences, les technologies et les techniques qui sont déployées pour nous garantir notre Internet au quotidien.

Première étape : la production des câbles et leurs (relais ?), une vraie industrie qui doit fleurir, si l’on doit croire le nombre de câbles posés sous l’océan ! Ensuite, ces câbles — et je trouve cette image la plus incroyable de toutes — doivent être mis dans d’énormes cuves de bateaux spéciaux, qui vont les tirer d’une côte à une autre. Le plus long câble est le SEAMEWE (South East Asia – Middle East – Western Europe : il mesure 20 000 km. Imaginez-vous si ce n’est-ce qu’un instant que vous êtes sur un bateau qui dépose ce câble, avec des robots qui sont descendus dans les profondeurs des océans pour enfouir les câbles… on est en effet très loin de l’imaginaire populaire et virtuel d’Internet, mais très proche des industries de hautes technologies et des industries nautiques plus classiques.

258 câbles sous-marins pour nous connecter

Et ça fait du monde, sous l’océan ! Il y a aujourd’hui environ 258 câbles, qui sont financés par des opérateurs privés. Car, depuis que l’Administration Clinton a privatisé le fameux backbone [racine] d’Internet, ce sont les opérateurs télécoms et des entreprises privées comme Facebook et Google qui financent les câbles et décident de l’infrastructure. Ainsi, Microsoft et Facebook se sont associés avec un opérateur espagnol « classique » et couché un câble, appelé Marea, sur les fonds de l’océan entre Virginia [États-Unis] et Bilbao [Espagne].

Depuis quelques années, cette situation soulève des polémiques autour de la gouvernance du web physique, car Internet est devenu tellement important pour l’économie globale et pour la sécurité qu’il est difficilement envisageable que des forces politico-économiques puissent nuire au réseau.

 

 

 

[1] « While Francfurt’s exchange projected a polished character, AMS-IX seemed to thrive for a thoughtful informality, a philosophy that extended to its offices in a matched pair of historic town houses near the centre of the old city. (…) There was a homeyness to AMS-IX that I hadn’t yet encountered in the Internet. Rather than the network being the realm of conspiracy theories and hidden infrastructure, the exchange embodied a spirit of transparency and individual responsibility. And it turned out, that feeling extended to its physical infrastructure. » dans : Blum, Andrew. Tubes —Behind the Scenes at the Internet. Penguin Books, 2012, p.154.

Ressources complémentaires :

  • http://atlantic-cable.com/
  • SERP pour « câbles sous-marins » : https://www.youtube.com/results?search_query=c%C3%A2bles+sous-marins

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