La nouvelle est sans équivoque : le Henn-na Hôtel a licencié la moitié de ses robots. Introduits en 2015 pour réduire le coût du travail, l’hôtel, après avoir augmenté le nombre de robots, a décidé de revenir partiellement en arrière. Trop lents, trop peu adaptés et certainement pas capables de réagir de manière pertinente dans toutes les circonstances face aux besoins de la clientèle : l’accueil par les robots a démontré ses opportunités et ses limites. Dans cet article, je vais revenir sur les technologies de l’accueil pour mieux comprendre le phénomène.

 

Les robots du Henn-na hotel au Japon

Les robots du Henn-na hôtel au Japon

L’influence du numérique sur l’interaction sociale codée

L’accueil a subi les conséquences de nouvelles forces entre le numérique et le non numérique. À partir du moment où l’on peut effectuer un acte autrement que de manière linéaire et synchrone, les conditions dans lesquelles se déroulent la communication et la transaction doivent être fondamentalement repensées. Ceci vaut d’abord pour les protocoles, qui remplacent la « Xénia » du temps de l’hospitalité homérique dans la Grèce antique. La « Xénia » était l’ensemble des procédures et protocoles mis en place pour accompagner l’arrivée et l’intégration d’un étranger (« hospes » ou « hostis ») dans une communauté. Elle était connue de tous, et son rôle était de sécuriser aussi bien l’hôte accueillant que l’hôte accueilli — et la communauté dans laquelle ce dernier entrait.

 

Le comptoir, endroit emblématique pour l’accueil

Dans le contexte évolutif du numérique, on ne repense pas uniquement les protocoles, mais aussi les espaces. Dans des métiers où l’on a besoin d’actes administratifs, comme à l’hôtel (check-in, renseignements, facturation et règlement, check-out), le comptoir, lieu symbolique par excellence pour effectuer ces gestes, reste toujours d’actualité — il figure d’ailleurs souvent comme un marqueur de luxe et de standing puisqu’il permet d’instaurer ce sentiment d’être « au service de ». Il clarifie aussi, par son design même, comment le maître du lieu a conçu cette rencontre : est-ce comme un lieu sympa, moderne et simple où l’on s’assoit à côté du visiteur, ou comme l’entrée dans le haut-lieu de la ville, comme ici à l’Office de Tourisme de Bilbao ? Le comptoir donne l’opportunité de transmettre des informations pratiques ou d’autres renseignements, mais marque avant tout un moment symbolique ressenti tel quel par aussi bien l’hôte accueillant et que par l’hôte accueilli. Bref, le point de contact entre clients — devant le comptoir — et le collaborateur — derrière le comptoir — celui-ci a gardé ses papiers de noblesse, semble-t-il. Ce qui pourrait d’ailleurs donner des idées à de petits hôtels pour se démarquer : comment accueillir et recevoir sans comptoir ?

 

Comptoir, écran : protection contre l’intrusion

Le comptoir marquait non seulement l’endroit d’une interaction symbolique, mais figurait aussi comme protection contre l’intrusion du client dans la sphère dominée par le propriétaire et les collaborateurs de la boutique, de la banque, du magasin, de l’hôtel. Il a été remplacé d’abord par des cadres plus ouverts avant d’être complètement abolis en faveur d’une approche côte à côte ou face à face, mais sans une ligne de démarcation physique.

 

Photo : John Hickey Fry - https://www.flickr.com/photos/hickey-fry/10814783245

Photo : John Hickey Fry — Photo : John Hickey Fry — https://www.flickr.com/photos/hickey-fry/10814783245

Avec la tablette, « l’écran-barrière » disparaissait au profit de « l’écran-ouverture ». Si l’écran de l’ordinateur reprenait le rôle du comptoir comme barrière contre l’intrusion dans un premier temps, l’écran de la tablette a véritablement changé la donne. Il permet désormais une mobilité ; client et collaborateur se mettent côte à côte ou face à face et doivent retrouver un nouvel équilibre. Ce serait intéressant d’étudier si et comment les deux « hôtes » ressentent désormais l’intrusion ou l’absence de celle-ci, ou si et comment ils perçoivent la nouvelle connexion – non pas avec une personne derrière un ordinateur qui dicte et « gère », mais avec la personne humaine qui, accessoirement, se fait aider par une tablette. Dans les deux cas, d’ailleurs, la donnée et l’algorithme restent à l’œuvre et jouent un rôle important pour la transaction.

 

La transition de l’écran au robot (humanoïde)

Si l’accueil par les écrans a été la première dimension de l’accueil par l’interface interposée, le robot — humanoïde ou non — en est la suite logique. L’homme est capable de s’attacher à « ses » machines, et il lui est probablement plus facile de s’attacher à une machine qui lui ressemble qu’au « simple » écran.

 

Quand l'humain s'attache au robot...

Quand l’humain s’attache au robot…

Les tests avec Alice, la poupée avec laquelle une équipe néerlandaise à fait des expériences dans le milieu social des personnes âgées, démontrent la construction d’une connexion émotionnelle entre la poupée et la personne qui l’accueille. Et comme l’accueil est traditionnellement le propre du secteur du tourisme, l’accueil par des robots a été testé dans ce secteur : est-ce cela, le tourisme 2.0 ? En tout cas, il n’est pas étonnant de voir apparaître des robots dans une situation classique de l’accueil, dans un hôtel — et pour partie – derrière un comptoir !

Le Henn-na Hôtel au parc d’attractions Huis ten Bosch, la reconstruction d’un village néerlandais avec les hauts-lieux touristiques en miniature en Japon 1) Le fait que le Henn-Na Hôtel se trouve dans ce village est assez drôle : à part le fait qu’il s’agit de mon pays natal et de la culture fortement influencée par l’approche capitaliste, selon Weber le résultat du protestantisme, c’est aussi un excellent exemple pour parler de l’authenticité. J’aborde cette notion dans mon livre « Bienvenue à l’Hospitalité digitale » et j’en consacrerai un article sur le blog plus tard ! , a été le premier à introduire massivement les robots en situation d’accueil et d’accompagnement tout au long du séjour. Après le succès des premiers 80 robots, l’hôtel a augmenté le nombre de robots jusqu’au nombre de 243. Ils s’occupaient de pratiquement tout ce qui est à faire — mais avec un résultat assez contesté. Entre le robot qui bouge trop lentement et qui n’arrive pas à rejoindre toutes les chambres, voire à faire les lits (!), un autre qui commence à parler dans la nuit quand il y a un bruit dans la chambre, mais qui ne comprend pas les questions posées, ou encore, le personnel nécessaire à surveiller l’hôtel pour garantir la sécurité des clients et faire en sorte qu’ils ne repartent pas avec les gadgets — la partie n’est pas gagnée.

 

Technologies de l’aliénation ?

L’exemple du Henn-na Hôtel démontre encore une fois à quel point l’introduction des technologies est un travail d’équilibriste : pour que l’utilisateur ne se sente pas seul face à une machine, il y a besoin d’une dose d’interaction humaine.

 

Commentaire client sur la relation avec un robot au Henn-na Hôtel (2016)

Commentaire client sur la relation avec un robot au Henn-na Hôtel (2016)

Au début, c’était drôle, de voir tous ces robots. Mais après un certain temps, cela devenait ennuyeux. – C’était un peu solitaire, sans le staff, avec pour unique compagnie des robots et des distributeurs (pour acheter à boire ou à manger). 2) Bergman, Beer. op. cit., p. 44

Quelle devrait être cette dose, et comment l’articuler : cela reste à voir. Ou, comme le dit un propriétaire d’un hôtel-capsule : « l’esprit de l’hospitalité nécessite l’interaction humaine ». 3) Bergman, Beer. Bienvenue à l’Hospitalité digitale – Le nouveau prisme du marketing en ligne, Éditions Kawa, 2018, p. 44-45 Antonio Casilli, dans son livre « En attendant les robots » dirait que « le robot, c’est justement l’interaction humaine ! »4) Casilli, Antonio. En attendant les robots, Éditions Seuil, 2019 :-). Ahhh, les paradoxes du numérique !

Les photos de cet article sont des captures d’écran de la vidéo ci-dessous :

« Bienvenue à l’Hospitalité digitale »

Je parle de ces choses aussi dans mon livre, « Bienvenue à l’Hospitalité digitale« , pour ceux qui souhaitent en savoir plus :-).

Références   [ + ]

1. Le fait que le Henn-Na Hôtel se trouve dans ce village est assez drôle : à part le fait qu’il s’agit de mon pays natal et de la culture fortement influencée par l’approche capitaliste, selon Weber le résultat du protestantisme, c’est aussi un excellent exemple pour parler de l’authenticité. J’aborde cette notion dans mon livre « Bienvenue à l’Hospitalité digitale » et j’en consacrerai un article sur le blog plus tard !
2. Bergman, Beer. op. cit., p. 44
3. Bergman, Beer. Bienvenue à l’Hospitalité digitale – Le nouveau prisme du marketing en ligne, Éditions Kawa, 2018, p. 44-45
4. Casilli, Antonio. En attendant les robots, Éditions Seuil, 2019

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